A quelques jours des élections législatives, et 7 mois après les élections municipales, cette interview d'Aris Vassilopoulos, maire SYRIZA de Nea Philadelphia (banlieue d'Athènes), permet d'entrevoir ce que sont les problèmes du pouvoir pour la gauche, ici au niveau local.
Il est souvent question de cette municipalité, étant donné les tensions qui y règnent du fait du conflit entre la mairie et le club de football AEK autour d'un projet de stade (voir synthèse en fin d'article).
Interview du maire de
Nea Philadelphia – Chalkidona, Aris Vassilopoulos
Par Katerina Pardali | 07.01.2015
« Gauche Ouvrière » n°327
Le stade de l’AEK (voir résumé
ci-dessous) et le bois de N. Philadelphia ont occupé les médias autant que la
population. Que se passe-t-il exactement ? Pourquoi as-tu parlé de
« jour historique » lors du dernier conseil municipal où des
incidents ont eu lieu, et pourquoi vous êtes-vous pourvus devant le Conseil
d’Etat ?
La situation est la
suivante : du fait de l’ancienne équipe municipale, mais surtout du
gouvernement Samaras-Venizelos, une loi est passée l’été dernier, qui a des retombées
très néfastes sur notre ville. ElIe a pour cerise sur le gâteau le déclassement
de 0,6 hectares de surface boisée ou à reboiser, pour la construction du
nouveau stade de l’AEK.
Toutes ces dernières
années, notre position était et elle reste claire à ce sujet. Nous revendiquons
la protection complète et la mise en valeur du bois de Nea Philadelphia, et
nous souhaitons la construction d’un nouveau stade de l’AEK dans notre ville.
Mais cela peut et doit avoir lieu dans le plus grand respect des règles
environnementales et urbanistiques, et de la Constitution. Nous sommes
désormais convaincus que la propagande sur le nécessaire déclassement de 0,6
hectares dans le but de construire un stade de catégorie « UEFA
Elite » est indéfendable, car un stade digne de l’histoire de l’AEK peut
se faire et se fera sans affecter le bois.
Tout ce qui concerne
notre prétendu refus de construction du stade de l’AEK, ou notre hostilité à
l’AEK en général relève de jeux pré-électoraux visant à manipuler les
supporters de l’AEK et à ce qu’ils soutiennent les forces qui ont pillés leurs
vies. Ma déclaration sur le jour historique renvoie au fait que nous avons
renoué avec le fil de toutes les anciennes autorités municipales combattives,
qui n’ont jamais reculé devant les intérêts économiques qui tentaient
d’empiéter sur le bois. C’est une chose dont nous sommes fiers et pour lequel
la plupart des habitants de Philadelphia et de Chalkidona nous soutiennent.
Ainsi, le vendredi 2
janvier nous nous sommes pourvus en tant que municipalité devant le Conseil
d’Etat contre le nouveau Plan Directeur d’Aménagement d’Athènes – Attique
(N.4277/2014), qui déclassifie la zone boisée de Philadelphia et la livre au projet
de construction du nouveau stade de l’AEK.
Le conseil municipal
a exprimé son opposition à la décision de la Direction des Forêts de
l’Administration Décentralisée d’Attique(1), laquelle rejette l’étude
municipale de réaménagement du bois, en invoquant le nouveau plan directeur. Il
s’agit en fait de la première action administrative en application du nouveau
plan.
Par son pourvoi au
Conseil d’Etat, notre municipalité s’oppose à l’Administration Décentralisée
d’Attique et au ministère de l’environnement, et demande que la décision en
question soit annulée.
Et comme l’a dit
notre maire-adjoint, Vaggelis Koumarianos, à l’ « Efimerida ton
Syntakton »(2) : « Nous soutenons que le plan directeur s’oppose
à l’article 24 de la Constitution relatif à la protection des forêts, à la
législation sur les zones forestières et plus généralement à la législation en
matière d’urbanisme. C’est notre devoir politique que de défendre les biens
publics et les espaces verts, prolongeant la tradition de plus anciennes
autorités municipales. Nous revendiquons le droit de la municipalité à gérer le
bois dans sa totalité et à préserver son caractère forestier. Le stade de l’AEK
peut et doit se faire dans la plus complète protection du bois, dans les
limites des 2,66 hectares prévues par l’ancien acte de cession… ».
Tu es, vous êtes (tou-te-s celles et ceux qui ont soutenu ta
candidature) la municipalité « SYRIZA » qui a subi le plus d’attaques
– et de différents côtés. Les gens de gauche vous soutiennent ?
La vérité c’est qu’en
tant qu’autorité municipale nous avons subi une rageuse offensive de la part de
l’ancien système de pouvoir et d’entrecroisement des intérêts qui a dominé
pendant des années dans la municipalité, et vivait sur le dos des administrés,
ainsi que de la part de plus grands intérêts économiques ayant des projets dans
le secteur. Le dernier épisode de cette offensive est une série de déclarations
diffamatoires, qui tout en occultant que nous avions baissé la taxe
d’habitation sur le logement et en avions exempté chômeurs de longue durée,
personnes handicapées, familles de trois enfants et plus, et personnes sans
ressources, nous accusaient de matraquage fiscal. Cela parce que nous avons
réparé une injustice de plusieurs décennies qui nuisait à l‘espace public en
augmentant (de façon facultative) la taxe d’occupation de la voie publique par
les terrasses(3).
En-dehors de cela, en
lien avec le stade de l’AEK, nous sommes confrontés à des attaques régulières,
qui dans leur écrasante majorité consistent en déclarations mensongères et
calomnieuses dans le but de nous nuire, et de nous faire consentir à des
solutions contraires à l’intérêt de la majorité sociale. Pendant toute cette
période les gens de gauche, par instinct de solidarité se sont tenus de notre
côté, tandis que SYRIZA nous a soutenu quand il le fallait.
Que signifie une collectivité de gauche pour toi ? Que peut-elle
faire aujourd’hui ?
Etre de gauche dans
le cadre d’une collectivité locale veut d’abord et surtout dire protection des
personnes socialement vulnérables, des travailleurs, et de la qualité de vie
des citoyens. Les mairies ne sont pas des entités incolores et inodores, comme
le voudraient les 20 dernières années de domination néolibérale, mais elles
sont des terrains d’affrontement, où l’on est souvent appelé à défendre des
principes et des valeurs face aux intérêts qui se taillent la part du lion dans
ce que l’on appelle la sphère publique. Etre de gauche veut dire mettre
l’accent sur les processus démocratiques et sur l’auto-organisation de la
société, et défendre l’autonomie constitutionnelle des collectivités, qui
ressemblent plus à une co-administration ces dernières années.
Depuis ces quelques
mois où nous avons pris en charge la gestion de la municipalité nous sommes
parvenus à réintégrer les surveillants des écoles via une lutte judiciaire,
nous avons attribué des crédits pour que les enfants des écoles bénéficient
d’un en-cas à dix heures, nous avons plus que doublé le budget pour assurer la
distribution de repas, avons mis fin aux relations troubles entre certains
notables et la mairie, et avons mis en place un système fiscal municipal aussi
redistributif que possible, comme je l’ai dit précédemment au sujet de nos
concitoyens qui se trouvent dans les situations les plus difficiles
(chômeurs-euses de longue durée, personnes handicapées, ect).
De plus, nous avons fourni
des locaux et des ressources pour la création d’une pharmacie sociale, d’une
épicerie sociale à Chalkidona et nous en créons une autre à N. Philadelphia.
Nous veillons à ce que des locaux soient ouverts pour héberger nos concitoyens
sans-abri.
Parmi nos priorités
immédiates figure la création d’un conseil des immigrés favorisant l’intégration
culturelle et éducative de ceux-ci, auquel des immigré-e-s seront invités à
participer.
Parallèlement nous
avons rencontré une grande réussite dans la réalisation des assemblées de
quartier dans différents endroits de la ville. La participation de la
population à nos assemblées a été grande. Les points les plus discutés et
réclamés sont les aménagements anti-inondations dont notre ville a besoin, les
écoles (dont nous avons aussi besoin, beaucoup étant dans une situation
désastreuse), les embauches dans les services de propreté. Mais aussi les
espaces verts, la libération de la voie publique, ect.
Nous avons pour
objectif de continuer ces assemblées de quartier, de façon à ce que les citoyens,
les travailleurs, les chômeurs, les jeunes, posent eux-mêmes leurs problèmes et
leurs besoins et se mobilisent pour leur satisfaction.
(1) Service
déconcentré de l’Etat, qui depuis la réforme « Kallikratis » de 2010 applique
à l’échelle d’une ou plusieurs régions (3 maximum) une partie des politiques publiques
sous l’égide d’un Secrétaire Général nommé par le gouvernement.
(2) Journal des
Rédacteurs, créé pendant la crise par des journalistes licenciés.
(3) L’appropriation
par les cafés et les restaurants de la voie publique, notamment des trottoirs,
sans autorisation est un problème qui se pose dans toutes les villes grecques.
D’autres municipalités, comme Le Pirée, ont ces derniers mois posé la question
de la destruction de terrasses couvertes sauvages.
La
mairie de Nea Philadelphia et le stade de l’AEK
(Synthèse de
Socialinfo Grèce)
Quelques éléments sur
une affaire qui empoisonne le climat politique à Nea Philadelphia depuis de
nombreux mois.
L’AEK, Union Sportive
de Constantinople, est un club multisports fondé en 1924 par les réfugiés grecs
d’Asie Mineure, dans la foulée de la guerre gréco-turque. Très marqué par cette
référence identitaire, l’AEK est réputé compter parmi ses supporters de
nombreux sympathisants de gauche, antifascistes, issus des classes populaires.
Le club étant en déroute financière et sportive, sa direction est confiée en
2013 à l’entrepreneur Dimitris Melissanidis, armateur, fondateur et président
de l’Aegean Marine Petroleum,
troisième compagnie pétrolière du pays. Melissanidis s’emploie à redresser
économiquement l’AEK, à lui faire réintégrer la Super League, ce qui passe
notamment par la création d’un nouveau stade à Nea Philadelphia. Les visées
immobilières de l’AEK incluent pour la réalisation de ce projet la destruction
d’une partie d’un espace vert situé sur le territoire de la commune, en défense
duquel une partie des habitants s’est mobilisée, et dont la conservation
faisait partie des engagements d’Aris Vassilopoulos et de sa liste, Force
Citoyenne. Si Melissanidis avait pu conclure des accords avec l’ancienne
municipalité et l’ancien conseil régional (avant donc la victoire de la
candidate de SYRIZA Rena Dourou), la progression de la gauche dans les
collectivités locales concernées doit l’amener à renégocier certains points
(urbanistiques et financiers). Depuis que ces problèmes sont apparus, des
hooligans du club font régner un climat de terreur dans la ville, dont nous
rapportons une partie des épisodes ci-dessous.
Printemps 2014 : dans le cadre de la campagne municipale, les
supporters de l’AEK envahissent deux fois le conseil municipal et organisent
deux « rassemblement pacifiques » parallèles aux rassemblements
électoraux de SYRIZA. Le 29 mai, ils envahissent une première réunion du Comité
des habitants de Nea Philadelphia – Chalkidona, et l’empêchent de se tenir par
des insultes et intimidations.
19 juin 2014 : Le comité des habitants de NP-Ch appelle à une
discussion publique sur le Plan Directeur d’Aménagement d’Athènes-Attique. Les
supporters de l’AEK organisent un contre-rassemblement, occupant la place avant
les habitants. Ils insultent, menacent des habitants et membres de la liste
Force Citoyenne (dont A. Vassilopoulos fraîchement élu), en frappent certains
et font trois blessés (en présence des MAT qui n’interviennent pas). Un peu plus tard dans la soirée, ils attaquent
le local anarchiste « Strouga » avec des jets de pierre, de morceaux
de marbres, de pierres… et font trois nouveaux blessés.
24 juin 2014: Le comité des habitants appelle à une réunion
publique en présence des maires (tous deux SYRIZA) de Nea Philadelphia et de la
commune voisine de Nea Ionia. Envahie par une centaine de supporters hurlant
des slogans et proférant des menaces, la réunion ne peut se tenir.
28 juin 2014: En riposte au climat de terreur et mafieux qui
règne à Nea Philadelphia, le comité des habitants appelle à une manifestation
relayée par la gauche (ANTARSYA et SYRIZA), et les anarchistes.
Quasi-militairement préparée, la manifestation est massive et se termine sur la
place centrale de la ville, à quelque centaines de mètres des supporters de
l’AEK que la police empêche d’approcher.
Décembre 2014 : 17 citoyens connus pour avoir participé à une
action en justice pour la préservation du bois trouvent au matin sur le seuil
de leur maison une lettre d’insultes et de menaces faisant explicitement
référence à l’affaire du stade, et portant la signature « Combattants
jaunes » (les couleurs de l’AEK sont le jaune et le noir). Le véhicule et
le domicile d’un autre habitant de Nea Philadelphia est attaqué au cocktail
molotov, sur l’entrée de sa maison est écrit « Tu vas mourir » et
« Juste l’AEK ».
22 décembre 2014 : Lors de la réunion du conseil municipal, 50
supporters envahissent la salle, frappent et blessent 5 personnes, menacent le
maire. La police intervient.
6 janvier 2015 : Lors de la fête de l’Epiphanie qui se déroule
au lac de Nea Philadelphia, des supporters rassemblés près du lieu de la
cérémonie insultent le maire, le menacent. Celui-ci quitte les lieux sous
escorte policière. Quelques minutes plus tard, dans le bois, 15 hooligans
interpellent et frappent un journaliste qu’ils considèrent comme défavorable à
l’AEK.
19 janvier 2015 : 1000 supporters de l’AEK se rassemblent près
d’une station de métro proche de Nea Philadelphia. Ils détruisent un kiosque
électoral de SYRIZA heureusement vide.